Dans le même univers qu’un Eclat de givre, nous voyagerons dans un Paris post-apocalyptique où la pluie ne s’arrête jamais, avec un personnage principal, moitié chanteur-moitié détective qui arpente la capitale en talons à paillettes pour se produire dans des cabarets et résoudre une enquête. Un jolie balade sur fond de questionnement d’identité, dans une atmosphère hallucinogène et cotonneuse, comme un morceau de jazz…
Résumé : Paris, un siècle après l’apocalypse. La capitale est plongée dans les pluies de printemps et Chet, dans une affaire qui le dépasse. Des sosies apparaissent pour lui faire porter le chapeau de crimes dont il est innocent. Du lagon du Trocadéro au repaire lacustre des pirates de la Villette, Chet arpente les bords de la Seine en crue à la recherche de ces mystérieux doubles, autant que de lui-même.
Mon avis :
Un reflet de Lune est une aventure qui a lieu après Un éclat de Givre. Néanmoins, il peut se lire comme une aventure indépendante.
Personnellement, je n’ai pas lu Un éclat de Givre et malgré quelques événements cités qui ont eu lieu dans celui-ci, je n’ai pas eu l’impression de manquer d’éléments pour comprendre l’histoire.
En revanche, certains éléments d’Un Eclat de Givre m’ont été dévoilés et peut-être aurais-je plus de facilités à démêler son enquête.
Voilà ce que je peux en dire après lecture. Ceux qui ont lu les deux livres dans le bon ordre auront peut-être un avis différent du mien… 😉
Je tiens à remercier les éditions ActuSF pour l’envoi de ce service presse qui m’a permis de découvrir cet univers si poétique et m’a donné envie de lire Un éclat de givre. 😉
Chet, un personnage emblématique
Ce qui frappe en premier dans ce roman est son personnage principal : Chet.
Chet est un jeune homme complexe, au physique androgyne et sensible, et qui possède un don pour s’attirer des ennuis.
Dès le début de l’intrigue, on comprend qu’il essaie de soigner son coeur brisé suite à une rupture amoureuse. Et pour cela, il va éprouver le besoin de devenir femme, devenir… l’envoûtante Thaïs. Un moyen de se fuir à travers une autre identité que tous admirent. Car Thaïs chante de sa voix rauque dans les cabarets le soir, étincelante de strass et de paillettes, accompagnée de son fidèle pianiste Damien, mais reste inaccessible au commun des mortels.
Loin d’être un déguisement, sa métamorphose embrasse sa partie féminine de manière assumée. En ce sens, Estelle Faye nous laisse à voir un roman inclusif concernant la bisexualité et le transformisme qui semble naturel et positif, sans forcer le trait, ce qui est assez rare pour être souligné.
Dans son périple, Chet va multiplier les histoires de coeur avec des hommes, des femmes aussi, et souvent les mauvaises personnes au mauvais moment. Nous aurons l’occasion de nous en rendre compte à plusieurs reprises avec la rencontre d’ex rancuniers ou de nouveaux amants. La fascination que son personnage de Thaïs exerce sur le public lui causera aussi quelques ennuis.
Car si le point de départ du roman est une enquête policière, l’aventure que nous propose Chet va aussi s’avérer une manière de guérir de son histoire d’amour et d’évoluer pour devenir plus posé et stable dans ses relations, moins fuyant et égoïste.
C’est aussi une forme d’adieu à son passé, car nous rencontrerons différents personnages qui l’ont aidé à devenir ce qu’il est aujourd’hui : premiers émois bisexuels, premiers travestissements, l’éclosion de sa sensibilité, son amour pour le jazz.
Avec cette enquête marquée par la pluie continue et la crue surnaturelle, il va nous raconter son spleen et nous envelopper dans une atmosphère douce et cotonneuse qu’il sera difficile de quitter.
Paris en mode post-apocalyptique
A quelle époque sommes-nous ? Difficile à dire. Dans tous les cas, nous allons évoluer dans un Paris Post-apocalyptique, rongé par des effondrements, la végétation grandissante et surtout une pluie torrentielle continue qui va rendre fous les habitants.
Après l’Apocalypse, chaque quartier s’est trouvé dominé par une faction qui indique sa loi. La seule chose qui importe est la nourriture. Pour autant, on ne sent pas un danger permanent à y vivre, comme si les gens s’étaient accommodés de la situation. Par ailleurs, nous évoluerons à travers le Paris de Chet, sa vision de la ville : celle des artistes, où malgré les conditions déplorables, la chanson comme l’art permettent de supporter un peu mieux le quotidien. En dépit de certains passages un peu glauques, Estelle Faye nous proposera des descriptions magnifiques et très poétiques qui nous donneront envie d’y faire un tour. Et quelle visite !
L’enquête de Chet sera propice à une promenade en règle de cette ville étrange qu’il connaît comme sa poche. Chaque étape marquera sa rencontre avec un personnage emblématique : La Sorbonne et le discret enquêteur Paul, l’opéra Garnier et l’infâme François-Alexandre, les bordels/clubs sur les péniches du Lagon du Trocadéro, la Zone Humide autour de Paris et le mystérieux Galaad, le Marché aux plantes d’Evangile et le prêtre Azal, Silver et le quartier des mareyeurs à la Lune Envasée, Enguerrand le commissaire-priseur de Néo-Louvre, Janosh et les bohémiens de Notre-Dame, ou encore le Jardin Botanique avec le scientifique Gabriel.
Malgré un calme relatif face à une vie quotidienne dramatique, on notera deux formes dangereuses de folie qui se développeront chez les habitants au fil du roman: celle liée à la crue qui pousse à chercher des boucs émissaires chez ceux qui n’y sont pour rien, et celle des riches oisifs qui ne savent plus quoi inventer pour ce divertir. Cela donnera lieu à deux scènes marquantes : un procès absurde pour calmer la foule et le visionnage d’un horrible snuff movie.
Une enquête façon hallucinogène
Qui sont les doubles de Chet ? D’où viennent-ils ? Qui les a créé et dans quel but ? C’est ce que Chet va tenter de découvrir tout au long du roman, car mine de rien… ils lui causent de sérieux ennuis ! Et comme le musicien traînait avec lui une mauvaise réputation, il va lui être difficile de se discréditer de leurs méfaits.
Bien que l’enquête passe un peu au second plan, elle est bien présente et complexe. Nous évoluerons comme Chet dans un flou digne d’une drogue puissante. Chet va être plusieurs fois malmené dans sa recherche d’indices : plongée dans la seine toxique, tabassage, enlèvement,… et y perdre de nombreux vêtements, pour son plus grand désespoir, ce qui apportera une note humoristique.
Il pourra compter sur divers alliés qui l’aideront parfois à contrecoeur, soit par dette envers lui, soit par admiration pour son art, soit par respect pour son père. On note qu’il compte peu d’amis fidèles à part son pianiste, Silver et Paul, peut-être parce qu’il ne sait pas s’attacher aux gens ou qu’il leur fait mal sans le faire exprès.
Grâce à notre détective-musicien, et à travers son périple dans la ville, nous essaierons de récupérer des indices et de résoudre ce mystère. Mais malgré un dénouement inattendu, des questions resteront encore en suspens, propices à une nouvelle aventure…
En conclusion : Avec Un reflet de lune, Estelle Faye nous propose une enquête psychédélique dans un Paris post-apocalyptique marqué par le Jazz, la pluie, et un personnage principal en quête de reconstruction. Si son enquête passe parfois au second plan, on est très vite subjugué par l’ambiance très poétique qui se dégage du récit, très difficile à quitter. Un roman à conseiller pour les amateurs de spleen et d’histoires de coeurs brisés.
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