Coronavirus oblige, l’atelier d’écriture auquel je participe à l’université de Lyon mené par Chloé Dubreuil a été annulé en présentiel. Pas grave, je le ferai en ligne ! Aujourd’hui, on écrit à partir d’un titre préexistant inventé par… Baudelaire !
L’histoire de l’Atelier :
Le critique littéraire Eugène Crepet, a eu un jour l’idée d’acquérir l’original des liasses de manuscrits ébauchés du poète Charles Baudelaire. En les dépouillant, il a réussi à dresser une liste considérable d’œuvres que Baudelaire n’a pas abouti et dont les titres, ne devaient certainement pas être définitifs.
Ces titres sont les suivants :
- Le marquis invisible.
- Le portrait fatal.
- L’amour parricide.
- L’almanach.
- La fin du monde.
- Pile ou face.
- Le triomphe du jeune Boniface.
- La Licorne.
- La maîtresse de l’idiot.
- Une brebis galeuse.
- Une infâme adorée.
- L’automate.
- Les enseignements d’un monstre.
- Le crime au collège.
- Le catéchisme de la femme aimée.
- Le mari corrupteur.
- Les monstres.
- Les heureux de ce monde.
- Le monde sous-marin.
- Une ville dans une ville.
- Les mineurs.
- Le rêve prophète.
- Le prétendant malgache.
- Le fou raisonnable et la belle aventurière.
- Le déserteur.
- Le boa.
- Une rancune.
Les consignes :
L’idée est de choisir l’un des titres et de l’utiliser comme base pour écrire un texte qui correspond à ce titre.
Il peut être en vers ou en prose, en nouvelle ou en récit et doit être adapté à notre époque actuelle.
L’idée de départ :
Beaucoup trop de titres et d’idées potentielles de récits ! Il a fallu faire un choix et j’ai jeté mon dévolu sur Une brebis galeuse.
Je me suis inspirée d’un entretien d’embauche que j’ai passé pour une centrale d’appel, à mon arrivée à Lyon, et imaginé ce qu’aurait pu être le présent d’une femme qui déteste ce travail. Cela a donné la nouvelle suivante.
La nouvelle :
Une brebis galeuse
Tous les matins, je me lève à 6h et prends le métro bondé pour aller au travail. J’enchaîne un, deux, trois cafés, puis une réunion de motivation d’équipe, censée stimuler mes performances. Ici à la centrale d’appel d’Assurance-mix, il faut être compétitif, en vouloir un max, pour faire gagner son équipe d’assureurs. L’assurance, on y croit, et les mini-défis censés nous motiver toute l’année existent pour nous faire gagner. Mais gagner quoi ? Cent euros de plus sur ma fiche de paie ? Des bénéfices pour l’entreprise ? Les jours passent et se ressemblent dans le grand open-space, sous la lumière artificielle des néons, entourée de gens qui s’agitent dans tous les sens pour des actions vaines.
Quand j’ai commencé ce travail il y a un an, je me disais que j’allais gagner rapidement de l’argent et être formée à un nouveau métier, et cela me convenait. Je débarquais alors dans la ville et cherchais désespérément un emploi. Aujourd’hui, mon intérêt pour ce boulot a disparu. J’ai l’impression de perdre du temps de vie. Du temps que je pourrais consacrer à autre chose. Autrechose… mais quoi ? Je l’ignore. Je continue donc à aller travailler, et enchaîne métro-café-coups de fil à gogo pour vendre des produits auxquels je ne crois plus, rêvant à une vie différente, sans avoir le courage d’en dessiner les contours. Et depuis peu, je prends des médicaments pour endiguer ma dépression grandissante, me raccroche à mon horoscope journalier, espérant un signe du destin.
Ce matin, le chef d’équipe m’a convoquée dans son bureau. Il paraît que mes résultats mensuels plombent ceux de l’équipe.
“Sandrine, il va falloir te ressaisir ! Je compte sur toi ! » Me lance-t-il avec un clin d’oeil se voulant rassurant.
Je rejoins mon open-space où m’attendent mes collègues. Ils me regardent de travers en passant. Comme si j’étais une intruse dont ils souhaiteraient se débarrasser.
Je m’assois à mon poste et constate que ma souris a disparu. Je cherche tout autour du poste de travail, avant d’entendre un ricanement et de comprendre. On m’a enlevé sciemment ma souris pour m’empêcher de travailler.
Pas grave, je vais continuer sans et faire bonne figure – je connais les raccourcis claviers – et du reste, il est hors de question que leurs actions m’atteignent.
Je prends une communication, imperturbable. Un client m’appelle pour une question sur son assurance habitation. Je lui réponds aussi professionnellement que je possible, jusqu’à ce que mon ordinateur se coupe, m’empêchant d’accéder au dossier. J’entends à nouveau un ricanement de l’autre côté de l’open-space, qui me fait lever un sourcil. Je m’excuse auprès de mon interlocuteur et lui propose de le rappeler. Ce n’est pas le protocole, mais je n’ai pas le choix si je veux continuer à l’aider.
Enervée, je redémarre mon ordinateur, tout en essayant de repérer le petit salopard qui s’amuse à mes dépends. L’écran ne s’allume même pas.
Je passe sous le bureau pour me rendre compte qu’il est tout simplement débranché. Je remets la prise au mur, rallume la machine et rappelle le client en contenant la colère qui commence à poindre en moi. On cherche à se débarrasser de moi, mais je ne sais pas encore qui. Je ne me laisserai pas faire. J’ai beau ne pas aimer ce job, je n’en reste pas moins professionnelle.
A peine ai-je terminé mon coup de fil que le boss m’appelle pour m’inviter à le rejoindre à nouveau dans son bureau. Bon, deuxième avertissement de la journée en perspective…
Je vais aux toilettes avaler discrètement un cachet de Lexomil pour me calmer, puis entre, bien lasse, dans son bureau.
Il me demande de fermer la porte, avant de me lancer sèchement :
“ Sandrine, je peux savoir qui t’a autorisée à raccrocher au nez de Monsieur Landru ? Tu n’es pas censée terminer une communication. C’est le client qui est censé le faire !”
– Mais j’ai eu un problème avec…
Pas le temps de terminer ma phrase qu’il m’interrompt déjà :
– Je ne veux pas le savoir, tu respectes le règlement intérieur de la compagnie. Tu as fait perdre des points à ton équipe aujourd’hui avec ça ! Je t’avais demandé de te ressaisir ce matin. Ce n’est pas de cette manière que ça va s’arranger. Maintenant, retourne à ton bureau. »
Le ton est sans appel. Je me dirige vers l’open-space, encore plus abattue, pour découvrir que… ma chaise a disparu.
Décidément, mes collègues veulent ma peau. Je jette un coup d’oeil furibard aux alentours pour voir où elle a été reléguée, mais ne la trouve pas. Le temps file et je devrais déjà être à mon poste. Nicolas, mon chef d’équipe s’énerve et m’invective :
– “Bon Sandrine, tu reprends tes appels ? T’as déjà perdu quinze minutes, là.”
– “ Mais je n’ai pas de chaise.”
– “ Bah reste debout, alors.”
J’en reste bouche bée. Si même lui s’y met… Je remets mon casque et prends un nouvel appel, debout devant mon bureau. Mais la manoeuvre n’est pas adaptée, et très vite, j’ai mal aux cervicales.
Je me masse la nuque quand j’entends pouffer de l’autre côté du bureau. C’est Marina, le modèle parfait de la commerciale de Assurance-mix. Elle me toise avec arrogance depuis son poste. Je suis sûre que c’est elle qui m’a pris ma chaise. Et ça la fait rire en plus !
L’exaspération commence à poindre, mais je refuse d’y céder. A la place, je prends discrètement un cachet et bois une gorgée d’eau entre deux coups de fils.
A 16h30, je prends une pause bien méritée et vais m’asseoir en “salle de convivialité”, l’espace soit disant chaleureux mis en place par l’entreprise pour renforcer les liens. Pour résumer, une salle de réunion avec un distributeur de café payant, un distributeur d’eau et deux plantes en train de crever.
Je bois rapidement mon café, sans parler à personne, avant de détourner une chaise et de l’emmener jusqu’à l’open-space. Hors de question de passer deux heures de plus debout à me péter le dos. J’ai le cou endolori et des crampes aux mollets.
Quand j’arrive, tout le monde est encore en pause. L’endroit est désert. A mon poste, rien n’a bougé, mais mon siège n’est pas réapparu. Je place la chaise sous le bureau et vérifie quelques dossiers avant de voir les lieux se repeupler progressivement.
Les appels reprennent à 16h45. J’essaie de me concentrer sur les questions des clients tandis qu’une mouche vole au-dessus de mon bureau. Je la chasse de la main. Elle revient me narguer, se pose sur ma tasse de café. J’essaie de l’écraser tout en continuant ma conversation, quand soudain la tasse se renverse et je laisse échapper un juron, m’excuse tout de suite auprès du client, qui ne comprend pas ce qui se passe, et propose de le rappeler dans les cinq minutes. Il coupe de lui-même la conversation. J’ai échappé à une nouvelle remarque sur le protocole, par contre, je sens venir une autre sur mon langage car nos conversations sont toutes enregistrées et vérifiées par la direction.
Je cours aux toilettes ramasser du papier hygiénique et reviens vite essuyer le café répandu sur le bureau. Heureusement, le clavier n’est pas touché. Je vais m’asseoir quand je remarque qu’on m’a derechef dérobé ma chaise. J’entends à nouveau un rire provenant du poste de Marina. Elle me regarde, hilare.
Je la foudroie du regard, pendant que mon téléphone se remet à sonner. Mais je n’écoute plus. Quelque chose a cédé en moi, et je sens la rage me submerger.
La sonnerie continue dans mon dos tandis que je me dirige vers Marina, mon mug à la main. Elle me regarde arriver vers elle, un air carnassier sur le visage.
“ – Bonjour Marina.
– Bonjour, Sandrine.
– Je peux savoir ce qui t’amuse autant ?
– Ton équipe. Vous êtes vraiment à la traîne comparé à nous. En même temps, il n’y a qu’à te regarder pour comprendre.
– Ah ?Tu peux m’expliquer ?
– Moi je n’ai pas de brebis galeuse dans mes rangs.
– Pardon?
– ça va Sandrine, tout le monde sait que tu es sous cachetons. Tu ne te caches même pas pour les prendre. T’es à la ramasse. T’en es à deux avertissements aujourd’hui par le chef. Je me demande comment on peut encore embaucher des gens comme toi. Je suppose qu’on doit avoir un quota handicapé, ça coûte moins cher à l’entreprise…
Elle s’enfonce dans son siège, fière de sa répartie, un sourire narquois aux lèvres.
Ma main qui tient le mug tremble. Je vois rouge et soudain, lui jette mon restant de café au visage.
Elle se recule, maculée de café, la bouche ouverte. Mais je ne me contrôle plus. Je sais ce qu’il reste à faire maintenant. Mon bras se lève et je la frappe à la tête avec ma tasse. Le sang coule et, je continue de frapper. Frapper, tel un robot. Le mug se casse, le sang m’éclabousse le visage. J’entends une plainte continue hurler à mes oreilles. Des mains essaient de me retenir, mais l’adrénaline me procure une force surhumaine et je me débats comme une tigresse. En continuant à frapper, le visage de Marina devient peu à peu une bouillie sanguinolante. Mon bras est toujours en train de lacérer dans le vide quand on réussit enfin à me dégager. Je ne tiens que l’anse de mon mug qui a éclaté sous l’impact.
Et c’est le trou noir.
“- Didier, c’est quoi ce nouveau test psychologique pour le recrutement des commerciaux ? On n’en n’a pas déjà assez comme ça ?
– Je sais, mais c’est à cause de l’incident de l’autre jour. Ils veulent vérifier les risques d’agressivité chez nos employés.
– Tu veux qu’on se tape des équipes de losers à la vente ?
– Non, j’ai pas dit ça. Cela concerne les passifs-agressifs et ceux qui encaissent mal le stress. Le boss a dit qu’il n’en voulait pas, vu ce qui s’est passé avec la tarée.
– Ah oui, je vois. Celle qui a fini à l’hôpital psychiatrique ? Comment va Marina, au fait ?
– Bah, toujours en arrêt maladie. Elle va se faire refaire la tronche. En même temps, quand on l’a sortie de là, impossible de la reconnaître. Dommage, elle était canon comme nana.
– Ouais, un joli petit cul aussi… Il paraît que l’autre folle marmonnait un truc quand ils l’ont embarquée?
– Oui, attends ça me revient…elle disait en boucle : “Brebis galeuse, brebis galeuse…”
FIN
Envie de vous lancer ?
Rien de plus simple ! Choisis un titre qui t’inspire et lance-toi ! Tu peux aussi tenter l’expérience avec le titre de ton roman préféré pour détourner son histoire.
N’hésite pas à me laisser en commentaire ton avis sur ma nouvelle, l’exercice, voire ton essai d’écriture, cela me fera plaisir.
A bientôt !
Bonjour, j’aimerais rebloguer votre article sur mon blog L’espace littéraire de la page et la chambre, consacré aux textes de participants d’un atelier d’écriture que j’anime à Nîmes. M’y autoriserez-vous ? Cordialement, Brice
J’aimeJ’aime
Bonjour, oui pas de problème du moment que vous citez vos sources. L’atelier est de Chloé Dubreuil et je l’ai transposé en article avec une nouvelle que j’ai composée pour l’exercice.
J’aimeJ’aime
Oui, je l’ai lu. Une fois reblogué, l’article s’il est ouvert par un adhérent est lu sur votre blog, pas sur le mien, donc le problème de la source ne se pose pas. Merci à vous.
J’aimeJ’aime
Merci à vous. Pas de problème pour la source, le « reblog » est très transparent.
J’aimeJ’aime
Une nouvelle drôle et sombre à la fois … j’ai beaucoup aimé 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
Merci de ton retour 😁
J’aimeJ’aime