Nominé dans les 5 finalistes du PLIB2020, ce roman est mon chouchou depuis le départ dans ce prix littéraire. Néanmoins, j’ai revu ma copie après lecture, et voici pourquoi…
Résumé : 1861 : la guerre de Sécession commence. À la Maison Blanche, un huis clos oppose Abraham Lincoln à la Mort elle-même. Le président doit mettre un terme au conflit au plus vite, mais aussi à l’esclavage, car la Faucheuse tient le compte de chaque mort qui tombe. Militaires, affranchis, forceurs de blocus, politiciens, comédiens, poètes… Traversez cette épopée pour la liberté aux côtés de ceux qui la vivent, comme autant de portraits de cette Amérique déchirée par la guerre civile.
Mon avis :
Quand j’ai appris que Jean-Laurent Del Socorro publiait un nouveau livre, je me suis dit qu’il fallait absolument que je me le procure car j’apprécie son style et les sujets sérieux qu’il aborde sous couvert de ses fictions. Cependant… Je suis fille de rage évoque la Guerre de Sécession et je n’aime pas les romans de guerre en général, encore moins concernant un pays qui n’est pas le mien.
Malgré mes réticences, j’ai plongé dans ce roman historique de 536 pages et voici ce que j’en ai retiré.
Où comment raconter la Guerre de Sécession sans tomber dans le documentaire historique.
Je suis fille de rage a pour sujet la Guerre de Sécession américaine, à travers le regard de ses principaux protagonistes historiques, mais aussi de personnages inventés par l’auteur.
Il alterne chapitres de fiction et traductions de documents historiques (télégrammes, journaux). Au sein des chapitres de fiction, les points de vue des deux camps s’opposent, tantôt dans un camp, tantôt dans l’autre. Les histoires de chacun sont courtes, moins de deux pages parfois, ce qui allège un récit plutôt long.
Cela a pour effet de rendre ce roman dynamique, car au vu de son nombre de pages, on pourrait le croire indigeste. Or, il se lit plutôt facilement et rapidement. Personnellement, Je l’ai lu en moins d’une semaine.
De ce fait, au niveau de la construction, on s’éloigne d’un documentaire historique et cela est plutôt plaisant, surtout si on n’est comme moi, peu adepte du sujet de la Guerre.
Côté contenu, les personnages ont tous une personnalité très marquée, qu’ils soient des figures historiques ou inventées. On retrouve ce style inimitable de l’auteur, capable en quelques mots de vous planter un décor, une psychologie…
Le fait de montrer la Guerre des deux côtés, et de différents points de vue nous fait réfléchir sur l’absurdité du conflit principalement. Mais cela étend également la réflexion à d’autres sujets : les enjeux politiques de cette guerre, l’avenir des Etats-unis dans les décennies suivantes, la considération des personnes noires, le racisme et l’esclavage, la place de femme dans la société.
Par ailleurs, Jean-Laurent nous montre divers cas de figure avec ses personnages, afin de nous faire comprendre l’enjeu de cette guerre civile : Caroline, une riche fille sudiste qui s’enrôle dans l’armée nordiste car elle refuse l’esclavage alors que son père et son frère sont dans le camp adverse; Minuit, une femme noire engagée dans le camp nordiste suite à l’abolition de l’esclavage, subissant du racisme dans son propre camp; Kate, une autre femme noire affranchie qui fonde une colonie d’anciens esclaves sur une île nordiste mais toujours gouvernée par les blancs ; la générale Tubman, première femme noire haut gradée qui vient prononcer un discours sur l’après-conflit au Congrès pour définir la nouvelle Amérique, victime du racisme des Sénateurs; ou pour finir Lincoln qui compte ses morts dans son bureau avec la Grande Faucheuse.
On note, comme dans les autres romans de l’auteur, que les femmes sont à l’honneur dans ce roman, soucieuses de défendre les droits des esclaves et de mettre fin à ce conflit. A l’inverse les hommes se lancent dans des batailles, les planifient, recrutent de nouvelles troupes ou énumèrent leurs pertes.
Une touche d’humour vient agrémenter le récit avec certains chapitres croustillants intitulés « Je ne fais que passer », où la Mort survient sans crier gare; ou encore tous les chapitres consacrés au Général McLee, piètre stratège, présenté comme un commercial avec sa rengaine : »Je peux tout faire ! » mais qui ne tient pas ses promesses. Ces passages, tout comme la construction du récit, viennent dédramatiser le sujet principal.
Au fur et à mesure du récit, malgré moi, je me suis intéressée à ce conflit qui pourtant ne fait pas partie de l’Histoire de mon pays. J’ai constaté aussi, qu’à travers ce sujet, l’auteur avait cherché à étendre ma réflexion sur la culture américaine actuelle : Pourquoi le racisme envers les noirs est-il encore présent aux Etats-Unis ? Comment s’est déroulée l’intégration de ces gens, qu’on a fait venir malgré eux dans un pays qui n’était pas le leur, afin de les exploiter ? Comment le treizième amendement de la Constitution des Etats-Unis a vu le jour ? Comment est né le KuKuxKlan ?
Comme dans ses romans précédents, Jean-Laurent Del Socorro utilise un sujet de fiction teinté d’historique qui fait écho avec notre actualité. Une manière très intelligente d’écrire, surtout pour un auteur qui n’est pas historien de formation.
Quelques bémols (parce qu’il en faut…) :
Ma plus grande déception concernant ce roman est la place de la Mort dans l’histoire. Je m’attendais à plus de fantastique, ou une intrigue plus développée comme dans L’apprentie Faucheuse de Justine Robin. Mais ce n’est pas le cas. Ici, la Mort ne fait que compter les vies perdues pendant le conflit en dessinant des traits à la craie dans le bureau de Lincoln, afin de lui démontrer l’absurdité du conflit, et parfois passe sur le champ de bataille. Rien de plus.
Le cadre historique, présenté en préambule par l’auteur pour expliquer la construction de son livre m’a un peu rebutée au départ. Je me suis demandée dans quoi je me lançais. Mais j’y ai vu ensuite son utilité pour mieux définir l’identité des personnages et savoir où se situe l’action, un peu comme dans une pièce de théâtre. D’autant plus que je me suis mélangée les pinceaux entre les noms des personnages (très nombreux) souvent désignés par des phrases comme : « Le général qui ne prend pas les armes contre son pays natal » ou « Le général qui ne compte pas ses morts ». Il m’a fallu un moment avant de comprendre que ce dernier était le Général Grant.
Pour terminer, j’ai trouvé un peu rébarbatif les chapitres avec les articles de journaux ou les télégrammes, qui sont au début incompréhensibles vis à vis de l’histoire, mais prennent leur sens quand on est un peu plus attentif, dans la suite du récit.
En conclusion : Jean-Laurent Del Socorro a l’art et la manière de prendre un sujet sérieux et dramatique pour le rendre léger et intéressant. Un livre qui nous offre une meilleure compréhension du monde à travers l’Histoire des Etats-Unis, sans tomber dans le documentaire et nous fait réfléchir sur notre quotidien.
Si vous souhaitez lire d’autres romans du même auteur, je vous conseille ses deux autres livres : Un Royaume de Vents et de colère, et Boudicca, tous les deux chez les éditions ActuSF.
9 réflexions sur « Je suis fille de rage, Jean-Laurent Del Socorro, éditions ActuSF »