Découvert lors des Imaginales 2019 lors d’une conférence intitulée « La ville, lieu du romanesque, entre fascination et répulsion » réunissant également Andoryss et Floriane Soulas, j’ai été séduite par l’atmosphère londonienne et steampunk de Cendres. Après lecture, mon avis reste mitigé. Comme le roman fait partie des sélectionnés du PLIB 2020, j’ai quand même décidé de vous en parler un peu, quitte à me faire taper sur les doigts…
Résumé : Londres, 1888. Nathaniel et Luna vivent dans un quartier mal famé de l’East-End. Pour survivre, ils sont obligés de revendre les objets qu’ils ont volés. Au même moment, à Westminster, Agathe accepte de devenir la domestique de la famille Henwoorth. Leur destin va basculer le jour où Nathaniel va découvrir un cadavre. Agathe, une jeune femme plutôt naïve prête à tout pour payer les médicaments de sa mère malade. Celle-ci va être embauchée comme parurière chez les Henwoorth. Mais, rapidement, le fils ainé de la famille, Archibald, se montre étrange… Qu’attend-il vraiment d’elle ? Et si un tout autre destin l’attendait ? Nathaniel Depford, un jeune homme de 27 ans, qui travaille comme allumeur de réverbères dans la vieille ville. Orphelin, il ne sait presque rien de ses origines. Mais, quand celle qu’il considère comme sa sœur, Luna, disparaît et que d’étranges cauchemars refont surface, son monde fragile vacille… Réussira-t-il à retrouver Luna avec l’aide de la police ? Ou devra-t-il faire chemin seul pour comprendre les forces obscures qui tirent les ficelles en coulisse ? Et si son passé le rattrapait ?
Mon avis :
Un univers assez travaillé
Johanna Marines connaît bien Londres et on sent qu’elle a fait des recherches historiques pour ce roman. Elle nous présente une capitale britannique baignant dans une ambiance puante, brumeuse, profondément inégalitaire et surtout impitoyable avec les plus faibles.
Dès les premières pages, nous entrons dans les bas-fonds de l’East End, le jour avec Agathe, une jeune fille de condition modeste, et la nuit avec Nathaniel, un allumeur de réverbères. Ils nous offrent une vue élargie de la capitale, du côté des pauvres et des sans avenir.
Les quartiers aisés ne sont pas oubliés avec le personnage de Archibald et sa famille qui nous entraînent dans les soirées mondaines et les faux-semblants des aristocrates londoniens.
Enfin, l’inspecteur Abberline nous emmène dans les cimetières et les commissariats de police où les méthodes d’interrogatoires sont peu orthodoxes et les criminels notoires.
Mais ce Londres victorien n’est pas seulement décrit du point de vue historique. L’auteure y introduit des éléments steampunk comme des fiacres mécaniques sans chevaux et des pigeons voyageurs mécaniques, qui ont une utilité dans cette histoire tout en apportant une certaine esthétique.
Ajoutez à cela que la pollution est tellement présente qu’elle se cristallise en un jour appelé Black Day, où les cendres toxiques des usines retombent sur la ville, et vous aurez un univers sombre plutôt réussi.
Une intrigue multiple
Le roman se divise en plusieurs intrigues qui finissent par se rejoindre tôt ou tard, comme dans tout bon roman policier.
Les chapitres alternent les points de vue des personnages principaux et font avancer l’intrigue.
Tout d’abord, il y a Agathe qui se fait embaucher dans la famille d’Archibald pour gagner de quoi soigner sa mère malade. Elle découvre des élément curieux dans cette famille d’aristocrates et il lui arrive pas mal d’histoires imprévues.
Puis, le roman se recentre sur Nathaniel, allumeur de réverbères très pauvre, ignorant de ses origines, qui vit dans un grenier de fortune avec Luna sa soeur de rue et voleuse de haut vol.
Enfin, l’inspecteur Abberline nous entraîne dans une enquête concernant un tueur en série/ kidnappeur de jeunes filles, dont sa propre fille a été la victime. Il prend son travail très à coeur et l’investigation tournant au personnel, il a tendance à déraper dans ses méthodes.
Les personnages vont se rencontrer, ce qui donnera lieu à de nombreux rebondissements et aboutira à un final inattendu qui m’a personnellement bluffée.
Beaucoup de bémols
Malgré un univers plutôt réussi, j’ai noté deux grands défauts majeurs à ce roman, qui auraient pu, s’ils avaient été corrigés, donner plus de profondeur à l’intrigue et le transformer un véritable coup de coeur.
En premier lieu, il y a trop d’histoires parallèles et de rebondissements. J’ai eu l’impression de lire un récit où l’auteur n’a pas su choisir entre toutes ses idées… et a décidé de toutes les assembler. Le résultat est un peu maladroit et donne un effet fourre-tout avec tantôt des éléments inutiles sur-développés, tantôt d’autres importants mais peu étoffés.
Je citerais pour exemple l’épisode où Nathaniel se rend dans son ancien orphelinat en pleine nuit pour découvrir des éléments sur ses origines, alors que l’intrigue vient d’avancer sur l’identité du tueur. Cette énième péripétie aurait pu avoir une meilleure place à un autre moment de l’histoire et ne colle pas du tout avec le réalisme temporel de l’action.
A l’inverse, la fête souterraine à laquelle participe Agathe avec Archibald est sous représentée dans le récit alors qu’il s’agit d’un moment clé pour comprendre la psychologie de l’aristocrate. A croire que le roman a subi des coupures un peu abruptes.
Par ailleurs, cette accumulation de rebondissements a pour conséquence de donner un rythme trop rapide à l’intrigue. Le suspense de l’enquête et l’inquiétude des personnages concernant le tueur en série sont par conséquent tronqués alors qu’ils auraient pu y gagner en intensité avec plus de lenteur.
Le second point qui m’a un peu gênée dans ce roman, est la manière dont l’auteure développe ses personnages. Certains auraient mérité une psychologie plus fouillée comme l’inspecteur Abberline, torturé mais sans plus, la mère d’Archibald colérique mais énigmatique, et le père et frère d’Archibald, des figurants sans grande substance. De même, les relations entre les personnages évoluent trop vite au niveau amoureux, sans-doute pour faire avancer rapidement l’histoire principale.
Ceci dit, j’admets que mon point de vue est peut-être biaisé car ce n’est pas le premier roman policier victorien et steampunk que je lis, et je deviens plus critique au fur et à mesure du temps à ce sujet. Un lecteur qui n’a jamais lu des livres de ces deux catégories aura sans doute une vision différente.
En conclusion : Cendres est un premier roman qui mérite de gagner en maturité. Il est doté d’un univers Londonien victorien assez réussi, mais qui peut surprendre par la multiplicité de ses intrigues et le manque de profondeur de ses personnages. J’espère lire d’autres intrigues de cette auteure néanmoins prometteuse, à qui il ne manque pas grand chose pour s’avérer excellente.
NB : Si vous souhaitez lire un autre roman policier victorien et dont l’intrigue est basée à Londres, je vous conseille Soul of London de Clémence Perrin-Guillet. Si vous préférez lire un roman steampunk, Les revenants de Whitechapel de George Mann vous ravira par son esthétique et son côté glauque.
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