Lors de mon deuxième atelier d’écriture organisé par l’université de Lyon avec Chloé Dubreuil, j’ai pu approfondir un aspect du récit qui est celui de la description.
L’objet de l’atelier était d’écrire une nouvelle, toujours avec un objectif temps d’1h30, où l’atmosphère et/ou le décor deviennent un élément à part entière, voire un personnage, qui conduit à un basculement, à l’image des récits fantastiques.
Un bon exemple de récit fantastique est la nouvelle de Guy de Maupassant, Le Horla, où le personnage principal est persuadé de l’existence d’un être invisible et malfaisant qu’il nomme le Horla, dont il essaiera de se débarrasser en brûlant par la suite sa maison (avec ses domestiques !).
Pour théoriser un poil, Tzetan Todorov décrit le Fantastique comme « l’introduction du surnaturel dans le cadre réaliste d’un récit. Il se distinguerait du Merveilleux par l’hésitation qu’il produit entre le surnaturel et le naturel, le possible ou l’impossible et parfois entre le logique et l’illogique. »
Passé ce préambule très théorique, voici les autres consignes de l’exercice :
- Utiliser les adjectifs et adverbes en nombre
- Pensez aux cinq sens : la vue est importante, mais l’odorat, le toucher, le goût, l’ouïe aussi
- S’inspirer d’un lieu familier ou d’une situation banale si l’on sèche.
- L’idée est d’introduire une inquiétude à travers le décor ou de décrire un rêve éveillé
La première idée qui m’est venue à l’esprit a été la forêt dans le film d’animation Blanche-Neige par Walt Disney. Cette forêt si calme de jour et si effrayante la nuit.
Puis, souhaitant éviter de tomber dans les clichés (mon côté anti-conformiste sans-doute), j’ai pensé aux serres du Parc de la Tête d’or à Lyon. Cela m’évoquait une sortie scolaire en maternelle, où la maîtresse nous avait raconté que des lutins vivaient dans les plantes et que pour les voir, il ne fallait pas faire de bruit. Cependant, les lutins n’étant pas vraiment effrayants dans l’imaginaire collectif, j’ai pensé à mettre en valeur plutôt les plantes et mon esprit est parti vers une nouvelle mi-écologique mi-fantastique.
Ce qui nous donne la nouvelle suivante :
Alice en Amazonie
Ce matin là, j’avais décidé de me promener au Parc de la Tête d’Or.
L’automne s’était doucement installé à présent, une belle occasion pour moi d’étrenner mon nouvel appareil numérique.
La température avait légèrement baissé et je pouvais voir mon souffle glacé au fur et à mesure que je marchais dans les allées constellées de feuilles. De dos, on aurait pu penser que je fumais une cigarette invisible.
Les arbres commençaient à prendre des teintes orangées, jaunes, brunes, jetant des reflets dorés sur le lac encore endormi, pour mon plus grand plaisir.
Armée de mon appareil, je mitraillais déjà bosquets, écureuils et champignons depuis une bonne demi-heure, quand, tenaillée par le froid, je me risquais à entrer dans les grandes serres pour me réchauffer un peu.
A peine la porte fermée, la chaleur et la moiteur des plantes tropicales du lieu m’envahit. J’enlevais mon manteau, étouffée d’un coup par l’atmosphère.
Au centre, les palmiers, bananiers, orchidées, formaient une vraie jungle dans l’espace tropical.
A droite, les serres plus arides proposaient des plantes des sables et des plantes grasses : cactus, Aloé vera, Agaves. Le piquant des premiers contrastait avec la générosité des seconds.
A gauche, les serres froides avec des collections moins exotiques me laissaient de marbre. Je ne leur jetait qu’un bref coup d’oeil.
J’entrais dans la serre tropicale, serrant mon appareil photo contre moi, ne sachant quoi capturer devant cette profusion verte. Pour un peu, on aurait pu croire que des serpents allaient descendre des arbres, des grenouilles émerger des petits bassins, voire, des araignées paver le chemin des allées.
J’avançais à pas précautionneux, écartant ça et là une branche sur mon passage, enjambant une racine au sol. Bizarrement, au fur et mesure de ma progression dans la serre, le passage se faisait étroit, les branches et racines plus nombreuses, le soleil moins présent.
“Allons bon, le temps s’est couvert. Niveau images, la lumière va faire défaut…”
Peu à peu des bruits étranges se firent entendre : cris de singes, bruits d’oiseaux, et soudain, un bruit sourd, régulier, comme un battement de coeur.
“ Des tambours” murmurais-je, “Je dois être venue un jour d’animation, ou alors, ils viennent de mettre une musique d’ambiance. Vu l’heure matinale, il n’y a personne d’autre que moi ici de toute façon.”
Rassurée par mon raisonnement, je continuais ma progression.
J’entrepris quelques clichés rapprochés au niveau des larges feuilles de bananiers, puis des palmiers, mes arbres favoris.
Très concentrée, je remarquais tout à coup une grosse chenille jaune sur une feuille de bananier. Aussi grosse qu’un index, elle profitait des quelques rayons du soleil encore présents.
Une mélodie d’oiseau me fit lever la tête. Elle se détachait du fond sonore et pour cause : un véritable oiseau se trouvait devant moi : petit, turquoise et rouge, il chantait en s’agitant sur la branche d’un palmier en me regardant.
“En voilà un qui s’est perdu… ajoutais-je pour moi-même. Ou alors, ils introduisent de véritables oiseaux dans les serres maintenant ? Pourtant, ils ont des serres spécialisées dans le parc. C’est bizarre.”
Profitant d’une telle aubaine, je pris quelques clichés de la bête à plumes qui se laissa faire avant de s’envoler vers une nouvelle branche.
Je le suivis d’arbre en arbre, écartant les végétaux sur mon passage, m’enfonçant à nouveau dans une allée étroite à peine taillée par les jardiniers du parc. Le bruit du tambour jusque là en sourdine, se fit de plus en plus fort et proche. Mon coeur se mit à battre la chamade. Pourquoi cette peur soudaine ? Et si…
Brusquement, le tambour cessa. Je venais d’arriver dans une clairière baignée de lumière au centre de laquelle un homme à la peau brune, habillé d’un pagne, d’une coiffe à plume et d’un anneau dans le nez se tenait, appuyé sur un bâton. A côté de lui, un tambour. Devant lui, un feu.
Il me regardait fixement. L’odeur des plantes se fit soudain plus forte, la chaleur plus intense. Je pouvais sentir les gouttes de transpiration descendre le long de mon dos.
Que faisait un indien d’Amazonie dans la serre ? Et surtout, étais-je bien encore dans la serre ? J’avais l’impression d’être, comme Alice, entrée dans le terrier d’un lapin…
“ Ananga toogixi boopaui Xoopogiï” L’homme me parlait doucement, d’une voix rassurante.
Au début, je ne comprenais pas sa langue. Puis à force d’insistance, ou peut-être que j’avais des notions de piraha cachée, je remarquais qu’il me montrait le feu devant lui.
Je m’assis. Il fit de même, et m’engagea à regarder le feu.
Troublée par la présence d’un feu en plein milieu d’une serre, je ne vis rien au premier abord. J’entrepris de l’étudier. Ce dernier ne dégageait pas de chaleur ! J’essayais de toucher les flammes et leur contact était froid. Un feu gelé ?
L’indien se mit à psalmodier des paroles incompréhensibles.
Laissant ma logique de côté, je me laissais bercer par les flammes, au début jaunes, rouges puis bleues, violettes. J’entrais dans une sorte de transe. L’indien continuait à psalmodier. Ce n’était pas si désagréable après tout. Etre dans une vraie forêt tropicale avec un indien authentique, même si ce n’était peut-être qu’un rêve très réaliste, autant en profiter.
Après sa cérémonie, peut-être pourrais-je lui demander si je peux le prendre en photo, qui sait ?
Cependant, petit à petit, mes muscles se paralysèrent. Terrorisée, je ne pouvais détacher mes yeux du feu. Mon corps se figea et je sentis quelque chose sortir du sol et s’enrouler autour de moi tel un serpent. J’essayais de parler mais aucun son ne sortit de ma gorge.
Puis je perdis conscience et tout devint flou.
Quand je me réveillais, j’étais dans la serre, au milieu des arbres, debout, mais toujours incapable de bouger ou de produire un son. Je voyais mon appareil photo abandonné dans l’allée.
Entrèrent deux jardiniers du parc. Le premier vit l’appareil photo au sol, le ramassa et s’adressant à son collègue : “ Encore un appareil photo. C’est le quatrième ce mois-ci ! Tu crois que je peux le garder ?”
L’autre haussa les épaules. “ Après tout qui le saura ?”.
Puis, regardant dans ma direction : “Bizarre, c’est toi qui a planté ce jeune bananier ? Il n’était pas là hier.”
“Non, sans doute dans l’autre équipe. Le chef a encore oublié de nous prévenir.”
“C’est comme le jeune palmier de l’autre jour !”
« Bon, arrête de râler, on a du boulot, viens !”
Tandis que les deux jardiniers s’engageaient dans l’allée, un courant d’air invisible s’immisça dans la serre, faisant frissonner plusieurs jeunes bananiers. Au loin, un roulement de tambour s’éleva doucement, promesse d’une canopée toujours en renouvellement.
Si en Amazonie les arbres tombaient, ici, ils seraient toujours plus nombreux. Anansi, le vieux sorcier de la serre y veillait consciencieusement…
FIN
N’hésitez pas à me laisser vos avis ou vos textes en commentaire, surtout si vous souhaitez vous lancer dans l’écriture d’une nouvelle suite à cet exercice. Cela me fera plaisir de les lire.
A bientôt !
1 réflexion sur « Atelier d’écriture 2 : Décrire une atmosphère… avec une pointe de fantastique »