A l’occasion d’un atelier d’écriture organisé à l’université de Lyon par Chloé Dubreuil, j’ai eu l’occasion d’expérimenter un petit exercice d’écriture destiné à produire une nouvelle en 1h30.
Le principe était simple. Il fallait d’intégrer dans une courte histoire trois phrases parmi celles proposées par l’animatrice.
Celles que j’ai retenues étaient les suivantes :
- C’est ainsi que j’ai eu le grand honneur d’inviter chez moi mon ami imaginaire
- Tandis que l’orchestre dissimulé jouait des marches funèbres.
- Elle se mettrait dorénavant au régime huîtres champagne.
Ce qui a donné lieu à une courte nouvelle à l’ambiance gothique, un peu barrée.
Je suis partie dans un gros délire à rigoler toute seule en écrivant devant mon pc, au grand dam de l’animatrice qui a fini par se demander ce qui me faisait me bidonner de la sorte. Je vous laisse découvrir mon « oeuvre ». A prendre au millième degré bien sûr !
L’enterrement de l’enfance
C’était un dimanche soir pluvieux, mes poupées avaient revêtu leurs plus beaux atours : jupes à crinoline et voilettes se mêlaient aux hauts de formes et costumes en queue de pie de mes ours en peluche.
Toutes étaient en noir, afin de respecter cette tradition du deuil devant la perte d’un proche. Et quel proche ! Ce soir, nous allions inhumer mon enfance devant l’arrivée d’un nouveau venu : mon adolescence.
La musique issue de mon gramophone se déployait dans l’air, mêlée au bruit des gouttes de pluie sur les vitres, et diffusait des sons étranges, grinçants, mélancoliques.
J’avais pris soin de préparer le cercueil où reposaient mes souvenirs joyeux et tristes au milieu d’un linceul de dentelle blanche, immaculée, et de roses dont la couleur rouge apportait une note de sang.
Au fond de la chambre, un repas attendait, agapes pour les vivants, me semblant déplacées pour un cérémonial censé honorer les morts. Mais ma mère avait insisté.
Pas question de me laisser mourir de faim en ce jour si spécial. De son côté, elle avait décidé qu’elle se mettrait dorénavant au régime huîtres-champagne. Sa manière à elle de célébrer l’événement. Je ne la comprenais pas. Comment pouvait-elle être aussi joyeuse en un jour si funeste ?
Tandis que l’orchestre jouait des marches funèbres, j’entrepris mon éloge : “ Nous sommes ici réunis pour dire adieu à une amie, une parente, que dis-je, une part de moi qui s’est en allée trop tôt, hélas. Enfance, tu m’as tant apporté !
La joie des cadeaux de Noël au pied du sapin, les plaisirs simples des goûters caloriques les après-midi d’automne, les envies spontanées, l’allégresse de faire le pitre quand je m’ennuyais en classe, les jeux innocents avec mes amis, la naïveté devant la dureté du monde extérieur.
Avec ton départ, c’est tout un monde sécurisant qui s’en va pour laisser place à l’incertitude, aux doutes, à l’ennui profond. Et ce corps qui change de manière incontrôlable… le regard des autres… la peur de l’avenir.
Enfance ! Que vais-je devenir sans toi ? Vas-tu de temps en temps venir me visiter dans mon sommeil pour me rappeler les jours heureux ? Ou rester dans les limbes de mon souvenir éternel ?”
Je m’arrêtai un instant, dévisageant pour la dernière fois la personne la plus chère à mes yeux au fond de son cercueil de bois, le regard figé à tout jamais.
“ Non, repose dans mes souvenirs et dans mon coeur. Ton existence a été d’un grand secours pour moi. Elle m’a permis de devenir ce que je suis. Pars en paix, je ne t’oublierai pas.”
Sur ces paroles, je m’arrêtai là et demandai à mes ours de refermer le cercueil.
Puis, pour terminer d’honorer le départ de leur amie, mes poupées défilèrent une à une, posant une rose sur le couvercle, les yeux baignés de larmes, certaines se tirant les cheveux à la manière des pleureuses italiennes.
En retrait, je répondais laconiquement à celles venues me rendre hommage face à cette si grande perte.
Et toutes retournèrent à leur place sur mon étagère, ainsi que mes ours, me laissant seule avec le cercueil.
C’est ainsi que j’eus le grand honneur d’inviter chez moi mon amie imaginaire pour la dernière fois. Mes règles étaient arrivées, j’entrais dans le monde des adultes.
Ma mère passa alors sa tête dans l’embrasure de la porte et me dit :
“ Chérie, pourquoi tu pleures devant une boîte vide depuis tout à l’heure ? Tu as mal ? Tu veux un doliprane ? Et…pourquoi tu portes un rideau noir sur la tête ? ”
Devant mon regard éploré, elle ajouta pour elle-même : “Décidément ces ados, je ne les comprendrai jamais”.
Fin
Si vous souhaitez tenter l’expérience, munissez-vous d’un chronomètre et voici quelques phrases qui pourraient vous inspirer :
Proposition 1 :
- La lune était levée et irradiait de sa lumière blanche les feuilles des arbres
- Il me prit la main en silence
- Dorénavant, plus rien ne serait pareil
Proposition 2 :
- Quel cirque !
- C’était une invitation qui ne pouvait pas être refusée
- La prochaine fois, je prendrai une bouteille de soda
Proposition 3 :
- Elle hésita.
- Ce lieu resplendissait malgré son aspect sinistre
- Après tout, on ne vit qu’une fois !
Il est possible de changer le temps des verbes. Il peut devenir elle.
N’hésitez pas à m’envoyer vos créations par email ou à les partager en commentaire. Cela me fera plaisir de les lire.
A bientôt !